5ÈME PARTIE DU DOSSIER SUR LE DESIGN SONORE

Notre dossier décrivant les étapes de la genèse du sound design au cinéma se poursuit aujourd’hui avec la figure tutélaire de Ben Burtt et de son travail sur un film emblématique : Star Wars. Relevons tout de suite un paradoxe : le qualificatif de « moderne » dénote le fait que le paradigme de sound design est resté inchangé depuis l’acte fondateur de Ben Burtt.

Cependant, alors qu’on aurait pu imaginer que l’autonomie croissante de la bande-son par rapport à l’image, telle qu’elle se manifestait dans THX 1138, allait perdurer, le sound design est au contraire retourné à une forme de conservatisme caractérisé par le règne tout-puissant du synchronisme image/son. Pour comprendre cette évolution historique, il faut se rappeler l’échec commercial de THX 1138 : George Lucas, afin de toucher un plus large public, s’écarte dans Star Wars des procédés cinématographiques du cinéma d’auteur et des thèmes distopiques caractéristiques de la littérature de science-fiction : il s’attache au contraire à réaliser une oeuvre manichéenne empreinte de romantisme, de mysticisme bon marché et d’action au service d’un cinéma spectaculaire, qui, deux ans après « Jaws » (1975) établira les codes du « blockbuster » dans le cinéma de genre.

En d’autres termes, on passe avec Star Wars du modèle expérimental du « sound montage » (crédit de Walter Murch sur THX 1138) au modèle du sound design : d’une écriture sonore fragmentée et affranchie de l’image, le sound design retourne à une unification image/son pétrie d’anthropomorphisme. Ce retour en arrière est contrebalancé par la remarquable créativité sonore mise en oeuvre, qui se généralisera progressivement, en particulier dans la catégorie du cinéma de genre.

1/ Star Wars : l’acte fondateur du sound design

Ben Burtt, alors étudiant en cinéma à la University of Southern California, est présenté à Georges Lucas comme un Walter Murch en puissance. Il se voit ainsi confier la mission d’aller collecter une année durant les sons nécessaires à ce qui deviendra plus tard l’épopée cinématographique culte que nous connaissons. Au cours de cette période, Ben Burtt parcourt la baie de San Francisco Nagra en bandoulière afin de constituer une bibliothèque de sons inédite.

C’est un évènement en soi si l’on considère la quantité extraordinaire de temps imparti et que l’on se rappelle les usages antérieurs d’Hollywood, où les mêmes sons issus de l’unique bibliothèque d’un studio était utilisé invariablement, quel que soit le film. Cette attitude nouvelle est permise par l’intégration, sur le plan technologique, des enregistreurs portables : la facilité de mise en oeuvre et la transportabilité de ce matériel, à qualité sonore comparable aux lourds équipements qui le précèdent, rende la tâche de collectage non seulement aisée mais également ludique : le jeune Ben Burtt ne quitte plus son Nagra, même durant les vacances familiales où il découvrira un son qui deviendra celui des fusils laser (blasters).

Comme nous l’avons vu précédemment, une des caractéristiques majeures de l’émergence du sound design est manifestée par l’adoption des nouvelles technologies telles que le son multipiste, la spatialisation etc… En cela, on peut affirmer que Star Wars a redéfini les attentes du public vis-à-vis de l’expérience sonore au cinéma en consacrant ces pratiques qui inciteront les salles à remplacer leur dispositif de diffusion sonore.

Assimilation des nouvelles technologies et constitution de bibliothèque sonore « à usage unique » ne suffisent pas à définir le nouveau modèle du sound design. Ben Burtt intervient sur toutes les étapes de la production du son du film (conception, enregistrements, montage et mixage) et en supervise la création. Cette transversalité confirme la figure d’un sound designer niant le carcan hiérarchique imposé par les syndicats jusqu’aux années 60.

Georges Lucas et Ben Burtt prolongent ainsi l’héritage de la collaboration entre Francis Ford Coppola et Walter Murch au sein d’American Zoetrope. Last but no least, Ben Burtt incarne de manière proverbiale la caractéristique majeure associée au sound designer moderne : il utilise tous les moyens à sa disposition pour créer des sons spécifiques, originaux, construits, marqués par une forte musicalité et présentant une étonnante richesse sur le plan du timbre.

2 / Ben Burtt, les paradoxes d’un pionnier du sound design

Il est souvent difficile de préciser les contours du métier de sound designer, et pas seulement dans le milieu du cinéma, tant l’ambivalence technique/esthétique et la variété des compétences mises en jeu peuvent être importantes. La formation initiale de Ben Burtt en témoigne : ce n’est qu’après des études de physique qu’il fréquenta les cours de cinéma de l’University of Southern California. L’aspect scientifique de sa personnalité s’exprime en permanence dans sa réflexion et sa recherche sonores. Au-delà des compétences techniques d’acoustique et de traitement du signal qu’il possède évidemment, il s’interroge constamment sur l’origine et la morphologie de l’objet ou de l’être dont il doit concevoir le son :

« J’ai pris beaucoup de plaisir à analyser l’équipement et les créatures que Georges avait créées. Je voulais savoir comment était alimentée telle ou telle machine, quel type de bouche ou de langue telle créature pouvait avoir. Savoir ces choses était important afin de concevoir le son qu’elles feraient. » (Ben Burtt, cité par William Whittington)

Une fois ce travail d’analyse effectué, Ben Burtt construit la crédibilité du son à créer en y incorporant une couche de familiarité sous la forme d’un son du monde réel rendu méconnaissable. Les exemples de ce procédé fourmillent dans Star Wars, tel que le son de respiration mécanique de Darth Vader, produit avec un détendeur de plongée sous-marine. Cette recherche du son familier « masqué » est une des marques de fabrique de l’oeuvre de Ben Burtt, de Star Wars à Indiana Jones, de E.T. à Wall-E ; pour ce dernier, il a commandé via Internet tout un ensemble de moteurs, de mécanismes et d’engins « vintage » (ex : un ancien groupe électrogène de l’armée) afin de « mettre en sons » les déplacements et mouvements du petit robot compacteur de déchets.

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Une fois le sentiment de familiarité causale installée, le travail de Ben Burtt intègre la notion de subjectivité : quelle est la personnalité de ce personnage ? Ce vaisseau appartient-il aux rebelles ou à l’Empire ? Suivant le contexte, Ben Burtt introduit des éléments animaux, langagiers, anthropomorphiques voire des codes musicaux afin de caractériser personnages et objets. Citons ici le barrissement d’éléphant utilisé pour illustrer le vol des Tie Fighters, ou les triades harmoniques (respectivement majeure et mineure pour les bons et les méchants) qui émanent du bourdonnement des sabres lasers.

La recherche consciente et affirmée d’un son « organique » pour Star Wars marque également un tournant dans la façon dont les films de science-fiction s’imaginent sur le plan sonore. Les sonorités froides et simples de la synthèse soustractive primitive, les hullulements sinusoïdaux du Theremin laissent place à un monde sonore qui revendique sa matérialité ainsi que les processus de dégradation qui y sont à l’oeuvre (en témoigne les claquements et autres bruits typiques d’un véhicule en fin de vie du « Millenium Falcon« , le vaisseau piloté par Harrison Ford, suggérant de manière comique sa fragilité et sa décrépitude intrinsèques). En privilégiant des sources sonores de nature concrète, les créations de Ben Burtt héritent de leur complexité dynamique et de leur richesse spectrale, participant à l’immersion du spectateur dans l’univers proposé.

Cependant, Ben Burtt sait bien que la crédibilité d’un son ne tient pas qu’à sa ressemblance avec celui du monde réel. Au cours de l’histoire du cinéma s’est développé un inconscient collectif de relations image/son conditionnant les attentes du public pour un certain nombre de situations : représentation de technologies fantasmées ou de processus magiques, amplification du rapport de causalité image/son, matérialisation de processus invisibles…En vertu de quoi les fantômes continuent de pousser des hurlements et les ordinateurs d’émettre des bips lors de la compilation de données. Ben Burtt en a d’autant plus conscience qu’il fut chargé, lorsqu’il était encore étudiant, de classer les sons des studios de la Columbia dont hérita son université. Il possède donc une vaste culture sonore de l’âge d’or Hollywoodien allant jusqu’à lui permettre de reconnaitre à l’aveugle le studio d’origine d’un bruitage. C’est un des paradoxes de Ben Burtt : une capacité à capitaliser sur l’inconscient collectif d’Hollywood pour produire des sonorités très innovantes à d’autres égards.

Un dernier paradoxe est contenu dans le rapport qu’entretiennent déterminisme et sérendipité dans la genèse des sons de Ben Burtt. Si ce dernier a une idée précise de ce qu’il cherche et des moyens qu’il compte employer, il lui arrive aussi bien souvent de faire des découvertes inédites qui, ironiquement, sont la marque de fabrique de sons aussi célèbres que celui du sabre laser (en partie) ou des fusils laser (ce dernier étant produit par l’impact d’un marteau sur le hauban d’une antenne de télévision enregistré en perspective très proche). Le monde du sonore a été à maintes reprises bouleversé par ses moments de grâce où le hasard rencontre une oreille attentive, où le diamant d’un lecteur de disques se trouve emprisonné par erreur dans un sillon fermé, où un microphone au câble endommagé passe à proximité d’un tube cathodique…

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Xavier Collet

Xavier Collet

Fondateur de SawUp

“Que faire quand on a passé les 30 dernières années à étudier passionnément toutes sortes de musique ? A travers SawUp, j’ai décidé de me vouer à la transmission en devenant “passeur de musique”. Chaque nouveau projet de formation est l’occasion pour moi de transformer mon insatiable curiosité en un engagement pédagogique au service de la communauté des musiciens d’aujourd’hui.”

Musique préférée : Esbjörn Svensson Trio – “Elevation of love”